Yara, 28 ans, vivait au Koweït avec ses parents lorsque la guerre en Syrie a éclaté en 2011. «Mes parents tentaient de se convaincre qu’on rentrerait au pays, mais les nouvelles étaient des plus inquiétantes», raconte la jeune femme. Un coup de téléphone de sa tante finit par ruiner les espoirs: une bombe est tombée sur la maison familiale et la terreur s’est installée dans le village.

La famille de Yara compte de nombreux médecins qui viennent en aide aux civils blessés, de quoi les désigner comme cibles aux yeux du régime. Certains sont enlevés, d’autres tués. Yara se rappelle aussi sa rencontre avec le fonctionnaire de l’Office des étrangers, son impression de devoir le convaincre qu’elle est un être humain doté d’intelligence et qu’elle n’a pas l’intention d’aller se faire exploser en plein Bruxelles. De l’étonnement de son interlocuteur devant ses diplômes en design et design stratégie. Oui, même les Syriennes font des études universitaires. «J’ai compris sa réaction. Tout ce qui passe à la télévision donne cette image uniquement violente de mon pays», raconte-t-elle. «Mes diplômes m’ont aidé.» Yara s’installe à Anvers et est engagée comme consultante par Deloitte Digital, ce qui fait la fierté de ses parents, mais ne la séduit pas. Ce qu’elle veut, c’est pouvoir aider les autres, être un acteur social. Elle démissionne de son poste après un an et demi.

On se pose tous les mêmes questions: Pourra-t-on rester ? Vont-ils nous renvoyer dans notre pays?

Un matin, dans un train, Yara aperçoit une femme, avec quatre enfants, qui a l’air complètement perdue. Elle se nomme Harlam, elle est aussi syrienne. Elle lui raconte son histoire, elle a dû fuir la ville de Homs alors qu’elle était enceinte de huit mois avec ses enfants et son mari. C’est par cette rencontre entre deux exilées que l’asbl «From Syria with love» est née. D’autres femmes vont rejoindre l’association comme Sabah et Abeer. Toutes savent cuisiner pour des grandes familles et vont proposer un concept original: un service traiteur de nourriture syrienne. Très vite, les commandes arrivent. Pour Yara, l’asbl est surtout l’occasion de parler de son pays et de le faire connaître autrement que par les mots « guerre » et « violence ». «La nourriture, c’est ce qui aide à briser la glace, c’est le langage du cœur.»

Tout récemment, le festival Mona du film à Anvers lui demandé de restaurer 200 invités. Un succès, mais sa fondatrice veut aller plus loin. «From Syria with love» doit aussi servir à rendre aux femmes leur autonomie. «On travaille dur, mais cela donne du sens à notre vie», explique Yara. La jeune femme veut changer l’image des réfugiés. «Ce travail, c’est notre indépendance. L’aide sociale nous fait suffoquer. Un réfugié n’a pas besoin de pitié. Il a besoin qu’on lui laisse l’opportunité de montrer ce qu’il sait faire.»

Photographies réalisées par DE TESSIERES Johanna
Interview réalisé par DE TESSIERES Johanna
Février 2017