Abdalla est le dernier d’une famille syrienne de sept enfants. Malgré leurs revenus moyens, ses parents lui ont permis d’étudier la littérature anglaise et l’art visuel tout en développant son talent pour la peinture. En 2011, les premières manifestations éclatent pour «enfin dire non au pouvoir dictatorial.» Abdalla se souvient d’une période exaltante : «Pour la première fois, nous étions capables de faire savoir ce que nous voulions et ce que nous ne voulions plus. Nous croyions énormément au changement». Jusqu’à ce que toute cette «idée romantique» s’effondre avec les violences qui s’en sont suivies. «La belle histoire était finie, la guerre était là.» La carrière d’Abdalla prend alors un nouveau tournant.

Ces peintures n’ont évidemment pas plu au régime qui arrêtait la plupart des activistes et des manifestants. «Mon galeriste à Damas m’a prévenu que des hommes étaient venus lui poser des questions sur moi.» Ajoutant à cette menace le fait qu’il était appelé au service militaire et qu’il était hors de question pour lui de participer aux violences, Abdalla en arrive à cette conclusion inévitable : il doit quitter le pays. Tout s’est fait très vite. Il plie l’essentiel de sa vie en trois valises et un petit sac contenant un disque dur, la mémoire de ses «sept dernières années».

Abdalla ne se souvient pas bien de ce qu’il a ressenti à l’instant où il a dit au revoir à sa mère avant qu’un taxi ne l’emmène à la frontière : «Je ne savais pas comment réagir. C’était irréel. Je ne voulais pas penser que ce serait peut-être la dernière fois que je la verrais. Je crois qu’elle pleurait mais j’ai regardé ailleurs, j’ai évité son regard.» Abdalla arrive d’abord en Géorgie où il reste deux ans. Puis en Belgique, où il reçoit un permis de résidence trois mois après sa demande d’asile. Il se souvient de ses premières impressions : «Je suis arrivé à Bruxelles par la gare du Midi, j’ai été frappé par le cosmopolitisme ambiant. Une adolescente, que sa maman venait chercher en voiture, m’a proposé de l’aide pour me conduire à un hôtel. Je me souviendrai toujours de ces quelques minutes d’échange chaleureux.»

Avant, je peignais pour moi, des choses très personnelles. J’ai commencé à exposer des portraits d’enfants en montrant les effets de la guerre.

Quand Abdalla pense de nouveau à ces cinq dernières années, il réalise à quel point des événements incontrôlables ont eu un impact énorme sur sa vie: «Tu ne fais plus de choix, ils sont faits pour toi.» Il pense à celles et ceux qui continuent d’arriver après avoir été forcés de quitter leur pays pour la première fois de leur vie. «Ces personnes savent qu’elles ont tout à recommencer et sont conscientes des efforts énormes qui les attendent. Elles sont déterminées et en même temps démunies. Tout leur est inconnu. La façon dont elles se sentent accueillies est cruciale. Chaque être humain réagit en fonction de son expérience et de la manière dont il est traité.» La confiance, l’empathie et la responsabilisation : voilà ce qu’Abdalla a ressenti en Belgique et ce qui l’a soutenu dans son parcours.

Il poursuit : «Les réfugiés sont parfois ignorés par les gens qui se disent «c’est au gouvernement de gérer, je paie des taxes pour ça». En fait, il est important de comprendre que chacun peut faciliter les choses et que ça passe par de tout petits gestes.» Abdalla avait déjà une certaine reconnaissance artistique lorsqu’il est arrivé en Belgique. Celle-ci n’a fait que grandir depuis. Un des premiers tableaux qu’il a réalisé à Bruxelles représente Obama en sans-abri et démarre une série intitulée « Vulnérabilité ». Parce que «le fait de se présenter à l’autre, désarmé et vulnérable est l’un de nos pouvoirs les plus précieux.» Cette peinture est aujourd’hui exposée au prestigieux Institut du Monde arabe à Paris et bientôt à Dubaï.

Photographie réalisée par NGUYEN HOANG Virginie
Interview réalisé par DERENNE Laure
Janvier 2017