«En débarquant du bateau, j’ai réalisé à quel point ma vie était précieuse et j’ai senti tout ce pouvoir que j’ai en moi.» Rand a connu une autre vie en Syrie. Heureuse d’abord quand elle est partie étudier la flûte traversière au conservatoire de Damas. «Damas était une ville extraordinaire, pleine de vie, de gens cultivés et généreux. Elle m’a rendue sensible à la musique, aux arts, à la vie. Damas m’a permis de réaliser des projets et de cultiver mon humanité.» Mais l’inhumanité de la guerre a fait basculer tous les rêves de Rand.

Rand est également photographe. Elle veut progresser dans cette discipline pour documenter sa vision du monde. Photo: Frédéric Pauwels

«Tout a commencé le 21 mars 2015, je revenais d’un cours de musique que je donnais à des enfants. Je me suis retrouvée face à une vision d’horreur. Les bombes pleuvaient par centaines sur la ville.» Rand annonce alors à ses parents, restés à Swaida, sa ville natale, qu’elle va prendre «la route des migrants» (Turquie, Grèce, Macédoine, Serbie). Là, elle n’aura plus à survivre, elle pourra vivre. Rand a d’abord été hébergée avec quatre autres Syriens dans une famille belge. Cette famille lui a donné tout ce dont elle avait besoin: de la compréhension, de l’écoute… et une flûte. «Ils m’ont fait découvrir la culture belge et un nouvel univers. J’ai commencé à apprendre la photographie.» Rand s’investit aujourd’hui dans différentes initiatives artistiques et de soutien à d’autres migrants. «Ce dont un réfugié a besoin, dit-elle, ce n’est pas tant de vêtements et de tentes mais c’est d’être en sécurité, qu’on l’aide à reprendre pied en reconnaissant et en valorisant son potentiel.»

Tant qu’à risquer de mourir tous les jours, autant tenter d’atteindre l’Europe.

«Chacun devrait être considéré pour ce qu’il est sans être réduit à son expérience en tant que réfugié.» Face à la méfiance qu’elle rencontre parfois à l’égard des réfugiés, Rand estime que «nous ne nous mettons pas assez à la place des autres. Tout le monde parle de nous mais qui nous connaît? Parfois, je me sens considérée comme une zombie en quête d’argent, d’un job à voler.»

Elle-même reconnaît que quand elle était en Syrie, elle n’avait pas «vraiment conscience de ce que vivent des personnes qui fuient des zones de guerre». La jeune femme n’avait jamais imaginé un jour «passer de l’autre côté de la barrière». A présent, elle ne demande rien pour elle-même mais elle attend des gouvernements européens une implication plus active dans la recherche de solutions politiques et humanitaires au conflit syrien.

Rand joue de la flûte traversière. Son rêve était de de fairer partie des meilleurs musiciens de son pays. Son parcours a été amputé par la guerre. « Je viens d’une ville incroyable, pleine de vie, de gens talentueux, cultivés et généreux. Sans eux, je ne serais pas la même. Les Syriens sont pleins de rêves et de projets. Ils ont beaucoup de force et de conviction, ils gardent espoir et font tout ce qu’ils peuvent ». Photo: Frédéric Pauwels

Rand n’oublie pas ses parents. Elle se bat pour qu’ils puissent la rejoindre et vivre eux aussi en sécurité. En attendant, tous ses efforts se focalisent sur l’apprentissage du français. «Mon mot préféré, c’est «bougie». C’est joli et j’ai étudié à la bougie.» L’année prochaine, elle veut commencer des études scientifiques. Et puis, il y a aussi la photographie, apprise ici… et la flûte dont elle rejoue petit à petit. Rand sait que son avenir est encore incertain mais, dit-elle, ses décisions futures seront guidées par un souci: «comment puis-je faire pour être un être humain bon».

Photographies réalisées par PAUWELS Frédéric
Interview réalisé par DERENNE Laure
Janvier 2017