Dans une plaine longée par la rivière Magoh, trois imposantes cabanes sur pilotis dénotent au coeur de la forêt tropicale. Une fumerolle s’échappe de l’arrière d’une d’elles. À l’intérieur, une femme d’un mètre cinquante tout au plus, les cheveux en bataille, vêtue d’un vieux t-shirt et d’un short, est accroupie devant un grand feu de bois. À coté d’elle, Guman, son mari, taille des flèches pour sa sarbacane. Celina et Guman sont des Penan, un peuple autochtone des hauts plateaux de l’État de Sarawak, dans l’ouest de Bornéo.

À l’origine, les Penan étaient des nomades qui se nourrissaient de chasse, de pêche et de cueillette dans la forêt tropicale. Celina et Guman, parents de six enfants âgés de plus ou moins 9 à 20 ans – ils ne connaissent pas vraiment leurs dates de naissance -, forment l’une des dernières familles penan de la région à s’être sédentarisée. « Nous nous sommes installés ici en 2017. Sans maison construite sur cette terre, l’État de Sarawak considère qu’elle ne nous appartient pas. »

Depuis quelques années, l’industrie de l’huile de palme les menace. Les déforestations opérées par l’industrie du bois avaient déjà fait perdre aux Penan une partie de leur territoire, depuis les années 80, avec une inévitable incidence sur leur mode de vie dépendant de la forêt tropicale. « Nous partons parfois pendant des heures, voire plusieurs jours, pour y chasser, couper du bois ou cueillir des fruits et des plantes médicinales », explique Guman.

Les Penan ont été aidés par Bruno Manser, activiste écologiste suisse disparu en Malaisie en 2000, puis par la fondation qui porte son nom pour défendre leurs droits coutumiers. « Si nous nous apercevons qu’une compagnie d’huile de palme commence à pénétrer sur nos terres, nous prévenons les villages aux alentours et agissons tous ensemble pour faire des barrages et empêcher les bûcherons d’avancer. Le Bruno Manser Fonds et des avocats nous soutiennent, par exemple en signant des lettres d’avocats qui expliquent qu’ils n’ont pas le droit de couper des arbres et pénétrer sur nos terres sans notre permission », explique Guman.

À plusieurs dizaines de kilomètres de chez Guman, un village penan et berawan, une autre communauté autochtone, a réussi à repousser une compagnie d’huile de palme installée (présumé illégalement) aux abords du parc national du Mulu, un site protégé par l’Unesco. En décembre 2018, la société Radiant Lagoon s’apprêtait à abattre 4400 hectares de forêt tropicale intacte, entre les rives du fleuve Tutoh et la frontière avec le sultanat de Brunei, alors que les communautés locales revendiquaient des droits coutumiers autochtones sur ces terres. Après avoir défriché environ 730 hectares, les bulldozers ont été arrêtés par les barrages érigés par les Penan et les Berawan. Depuis lors, le bois, abandonné sur le site, pourrit et l’affaire a été portée devant la justice.

BATEU BUNGAN, Malaisie: en décembre 2018, la société malaisienne d’huile de palme Radiant Lagoon a commencé à couper une zone de 4400 hectares de forêt tropicale naturelle intacte entre les rives du fleuve Tutoh et la frontière de Brunei près du Gunung Mulu National Park, site protégé par l’UNESCO., le 12 février 2020.
BATEU BUNGAN, Bornéo: Siman et Nick du Bruno Manser Fonds, avec l’aide d’Ukau, chef d’un village Penan du Mulu, installent des pièges photographiques afin de collecter des photos de la faune vivant dans la forêt tropicale du Mulu. Cela sera utile dans le cadre d’un procès contre les plantations d’huile de palme, prouvant que cette zone forestière doit également être conservée pour sa faune et ne peut accueillir des plantations. Le Bruno Manser Fonds est une organisation qui défend les droits des peuples autochtones et la conservation de la forêt tropicale au Sarawak (Bornéo). Le 12 février 2020.

Ukau Lupung, chef du village de Bateu Bungan, était à la tête de cette action sur le terrain contre Radiant Lagoon. Les Penan du Mulu ne vivent plus comme Guman et sa famille. Totalement sédentarisés, ils vivent principalement de l’activité touristique du parc national. Ils sont guides, pilotes de bateau ou vendeurs des objets artisanaux. Leurs enfants vont à l’école et rêvent d’un avenir loin de la forêt. Pour Ukau, la conservation de la forêt primaire autour du parc se révèle néanmoins cruciale pour garantir un minimum de subsistance à travers la chasse, le rotin ou les plantes médicinales. « Nos revenus proviennent principalement de la vente d’objet artisanaux à base  de rotin. Si les compagnies de palmiers à huile rasent la forêt, nous ne pourrons plus en fabriquer. » Les Penan se considèrent également comme les gardiens de la forêt primaire et voient comme un devoir de la protéger. Pour Ukau comme pour Guman, le combat est encore long.

Je continuerai à préserver nos terres jusqu’à la fin de ma vie. Pas pour moi, mais pour les générations futures. Ceux qui vivent en ville ont la banque, les supermarchés. Nous, notre banque, c’est la forêt. 


Ukau Lupung, chef du village de Bateu Bungan