En wolof le mot Sutura signifie discrétion. Pour survivre au Sénégal la communauté LGBT doit rester cachée. « Ce matin-là, à Pikine, une jeune femme s’enfuit, chassée par la clameur publique. Elle a des piercings et porte une casquette. Ce matin-là, entre chien et loup, un jeune homme quitte le foyer duquel il a été jeté à coups de menace de mort pour avoir parlé plus tendrement qu’il ne le faudrait à un garçon. Ce matin-là, Junior se réfugie dans les locaux de Prudence, le visage tuméfié, la lèvre ouverte, le bras cassé. La veille, dans un bar de la capitale, il portait un jeans serré. Ce matin-là, Nadim et ses amis ont décidé qu’ils ne sortiraient pas. Le cas de Kaoloack les expose au danger. Ce matin là est un matin comme beaucoup d’autres, à Pikine, Dakar, Mbour ou Touba. « La condamnation sociale se base sur tant de petites choses insignifiantes, sur des vêtements, une attitude, des on-dit », regrette Ndeye Kebe, figure charismatique de la lutte pour les droits humains et ceux de la femme en particulier. »

Dans cet environnement d’insécurité, les LGBT parviennent à se ménager des espaces de liberté. En toute discrétion. Leur identité mise à nue est cependant synonyme de danger et pousse ceux dont le visage est connu à l’exil. Nous avons remonté le parcours afin de comprendre ce qui les pousse à tout quitter.

« Je préférerais disparaître. Mourir. C’est mieux que cette souffrance », confie Khalil, la voix nouée. Ces hommes sont homosexuels. Rien de répréhensible, a priori. Sauf qu’ils ont été accusés d’ « acte contre-nature », pénalement condamnable en cas de flagrant délit.
« Nous avons participé à un anniversaire », entame l’un d’eux, las. Aucune charge n’a finalement été retenue contre eux. Mais la vérité juridique importe peu, dépassée par la justice du peuple. Battus par la police puis protégés par celle-ci de la vindicte populaire, traqués, ils ont finalement été exfiltrés par Diouf depuis leur ville d’origine. « Entre deux maux, on préfère que la police nous trouve plutôt que nos concitoyens », admet, fatigué, cette figure tantôt gaie tantôt grave de la défense des droits des minorités sexuelles, passée par la case prison pour des accusations similaires. en 2008.L’histoire des « 11 de Kaolack » a fait grand bruit. Les médias qui s’étaient procuré des images de leurs visages filmés par les forces de l’ordre se sont déchaînés, enclenchant une spirale infernale. Le peuple s’en est mêlé. Les leaders religieux y sont allés de leurs messages indignés dans la presse et dans leurs prêches:


“Le mal est en train d’arriver. Il faut lui casser les pieds,
lui couper la tête et le vider de ses entrailles”,
a ainsi déclaré l’imam de la ville religieuse.


Ce genre d’événement n’est pas isolé. Il est symptomatique de l’insécurité dans laquelle vivent la très grande majorité des LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres) et des violations récurrentes de leurs droits les plus élémentaires, particulièrement depuis le « seuil critique d’homophobie » atteint en 2008 et qui persiste jusqu’à ce jour. « Etre homo, c’est vivre avec un secret. La seule échéance se résume en une question : quand va-t-il être découvert ? », chuchote Sow depuis la terrasse d’un café .


« La lutte contre les homosexuels est instrumentalisée pour remettre en cause le caractère laïque et démocratique de la République », tonne l’activiste des droits humains. Mais « dans un Etat laïque, la réponse de la religion a ses limites. Certains semblent l’oublier »,
constate l’imam Kante.

Dans leur sillage, ils amènent une partie importante de l’opinion publique, nourrie par de « fausses croyances » : serrer la main d’un gay, marcher derrière lui ou l’avoir dans son foyer “porte malheur”. « Il n’est pas difficile d’endoctriner les gens peu éduqués et à la culture citoyenne faible en utilisant la fibre religieuse et de leur faire croire que l’on est en train de dévier vers ce qu’ils appellent une société de perversion », analyse Abo Backry.

Dans un pays à 95% musulman, il n’est pas surprenant de rencontrer de nombreux homosexuels se réclamant de l’islam. Si leur foi leur permet de tenir malgré les injustices, ils trébuchent sur la religion, utilisée –par eux comme par leurs détracteurs- pour justifier les discriminations qu’ils subissent.

« Avec la montée du conservatisme religieux, la société sénégalaise devient de plus en plus intolérante et hypocrite » assène Tidiane Kassé, journaliste. Les médias sont incessamment cités comme des acteurs clés dans la cristallisation du rejet et l’amplification de l’homophobie tant ils font le jeu des plus radicaux. « La manoeuvre est connue : un fait d’actualité susceptible de déclencher la vindicte populaire est sélectionné, une cible est désignée en l’accusant de mener des actions contraires à l’islam et aux valeurs morales ou de copier les perversions des sociétés occidentales. Ces mêmes islamistes manipulent les médias pour se rendre visibles comme défenseurs de la foi et de l’ordre moral (le leur) et présenter l’Etat comme faible ou complice », explique Tidiane Kassé. Il résume ainsi le jeu d’influence qui renforce l’homophobie et pointe les acteurs clés dans la cristallisation du rejet des LGBT. L’homosexualité est tantôt un acte criminel, tantôt une perversion qu’il convient de soigner, tantôt une insulte envers la société.La question de l’homosexualité est donc principalement traitée du point de vue moral et religieux, sur un ton souvent érotisant.


« La manière dont on délivre les messages heurte les sensibilités.
Les médias jouent un rôle existentiel : ils exagèrent le trait, inventent des faits dans une logique marchande
: l’homosexualité est vendeuse ! »
, explique Thomas.


Texte de Valentine Van Vyve ( extrait) publié dans la Libre Belgique.

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